Vivre à Rome
Cet
article a été écrit par le P. Wada, un
Père Carme, responsable du secrétariat de la
Conférence des évêques japonais au Vatican
et aumônier de la communauté japonaise de Rome.
Cet article a été publié en octobre dernier
dans le bulletin mensuel de l'aumônerie. Pour
apprécier la portée de cet article, il faut
se souvenir qu'en japonais ni le mot, ni la notion philosophique
de « personne » n'existent.
On dit souvent que la civilisation européenne est la civilisation des
clés. Où que l'on aille, quoique l'on
fasse, on a besoin d'un certain nombre de clés.
Quand après mon travail au Vatican, je rentre au monastère,
pour arriver jusqu'à ma chambre, j'ai besoin
de quatre clés. La clé du grand portail, la
clé de la porte d'entrée principale, la
clé du vestibule et enfin la clé de ma chambre.
Il me faut encore d'autres clés si je sors en
voiture ou en 'vespa'. Si, à l'instant
vous me demandiez, parmi toutes ces clés, d'en
choisir une seule, la plus importante pour moi, laquelle choisirais-je ? Sans hésiter je choisirais,
je pense, celle qui me donnerait le droit d'être
« moi ». C'est à dire,
« être moi » et « n 'être
pas un autre » et que «
les autres ne sont pas moi ». « Être moi
», c'est la clé qui permet de reconnaître
la réalité la plus fondamentale qui soit, c'est
à dire la clé de « l'affirmation de soi »
et dans le même temps de «
l'être ensemble ». Ce qu'on peut
aussi définir comme «
le droit personnel de décision » . La
clé qui, dans la réciprocité, autorise
« le droit de décider soi-même »
de telle ou telle chose, la clé qui admet telle ou
telle manière de vivre ou telle idée, la clé
qui admet des modes de vie différents. Maintenant,
si à l'aide de cette clé que j'ai
appelée «
le droit d'être moi », j'ouvre
et regarde l'ensemble des choses, des institutions et
des opinions, le monde m'apparaît très
différent. Ce qui suit semblera peut-être contradictoire
mais l'affirmation raisonnable de soi, du « -droit – -- - d'être soi
», nous libère de l'égoïsme
et d'une conscience de soi hypertrophiée. Où
que nous allions, quel que soit notre apparente appartenance,
cela ne nous fait pas abandonner notre «
moi », au contraire, il le fait mûrir. Il
nous fait nous libérer des différences de nationalité,
de race, de sexe, d'âge, de conditions, des inavouées
discriminations et des préjugés. « Moi »,
« le droit d'être moi », signifie que
je ne suis pas quelque chose mais quelqu'un, une personne.
Saint Thomas d'Aquin a défini la personne comme
une « autonomie
inaliénable ». C'est à dire
que, quoiqu'il y arrive, je suis moi et je ne puis être
confondu avec quiconque. C'est à dire avoir clairement
conscience que je suis moi, commencer par comprendre qu'autrui
n'est pas moi et que j'existe entouré de
nombreux d'autres gens que moi. C'est à
dire avoir conscience que moi, je suis entouré d'autres
gens (des personnes) qui sont autant d'inaliénables
autonomies absolument différentes les unes des autres
et de moi. Si chacun nous comprenions que moi c'est
moi, si nous pouvions vivre chacun cette conscience d'être
soi, les discriminations absurdes, les préjugés
et l'intolérance disparaîtraient de ce
monde. Parce que si je sui moi, celui qui n'est pas
moi, l'autre, est différent de moi. Une telle
évidence me fait comprendre qu'il est normal
qu'il y ait des gens qui ne pensent pas, ne voient pas
et ne ressentent pas les choses comme moi. En marchant dans les rues de
Rome où vivent des tas de gens de couleur de cheveux
et de peau différente et au langage incompréhensible
pour moi, j'apprécie le bonheur de vivre dans
cette ville qui me rappelle sans cesse que « moi, je suis moi et que les
autres ne sont pas moi » . |